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Bienvenue à Berlin ville verte

Mercredi matin, Berlin Gleisdreieck. Les uns font leur footing, les autres promènent leur chien ou se rendent au travail à vélo. Le skate-park est encore désert. Depuis la ligne de métro aérien, le regard s’étend jusqu’aux tours emblématiques de la place de Potsdam, en plein centre de Berlin. Le parc Gleisdreieck est l’un de ces espaces verts qui innovent : zones naturelles, aires de jeux matelassées, terrasses de détente, bosquets, pièces d’eau. Certains de ces espaces sont laissés à l’état brut comme le parc Südgelände du quartier de Schöneberg, où la nature reprend ses droits sur les anciennes voies ferrées. D’autres s’étendent sur une immense superficie, comme le Tempelhofer Feld. Avec ses plus de 300 hectares, ce « champ » qui s’étend sur le site de l’ancien aéroport de Tempelhof est l’un des plus grands espaces libres du monde situés en agglomération. Là où, dans les années 1948 et 1949, atterrissaient les avions américains du pont aérien pour ravitailler Berlin-Ouest durant le blocus de Berlin, les Berlinois et Berlinoises viennent aujourd’hui pique-niquer, jardiner, faire du skate ou de la planche à voile. Berlin est l’une des villes les plus vertes d’Europe. Elle compte 2 500 parcs et jardins publics et ses rues sont bordées de quelque 440 000 arbres.

Berlin accueille les ministres de l’environnement de l’UE

En bordure du parc Gleisdreick se trouve la « station » dans les locaux de l’ancienne gare postale, qui était au 19e siècle l’une des plus grandes plaques tournantes de colis et de marchandises d’Allemagne. Elle est aujourd’hui le cadre d’expositions d’art contemporain, de salons de mode et du plus grand congrès Internet d’Europe baptisé re:publica. En ce mercredi, la ministre fédérale de l’Environnement Svenja Schulze y accueille ses homologues européens pour une réunion informelle consacrée à l’avenir de la politique environnementale de l’UE. Le bâtiment en brique rouge rayonne sous le soleil matinal, le ronflement de la rame de S-Bahn se fait entendre. À la place du tapis rouge, c’est un tapis de sisal brun qui a été déroulé. Des tables hautes composées de palettes Europe recyclées invitent à la pause. Plantés dans des jardinières, des panneaux ronds aux couleurs des différents États membres bordent le chemin et se balancent au vent tels des fleurs à longues tiges. Des voitures noires s’avancent, longeant un groupe d’activistes de Greenpeace qui brandissent une pancarte jaune : « 1,5 °C is the limit ».

Pour une Europe climatiquement neutre et la protection de la diversité biologique

La ministre fédérale de l’Environnement, Svenja Schulze, sait à quel point les attentes sont élevées. Elle veut faire bouger les choses, unir l’Europe en faveur de la politique climatique. « Nous avons tous un objectif en tête », dit-elle lors de sa déclaration d’ouverture de cette réunion informelle. « L'Europe doit devenir le premier continent climatiquement neutre d’ici 2050 ». Durant la présidence allemande du Conseil de l’UE et donc jusqu’à la fin de cette année, Svenja Schulze veut parvenir à un accord sur un objectif climatique plus ambitieux à l’horizon 2030. Deux thèmes centraux sont à l’ordre du jour de la réunion : premièrement, quelles mesures l’Europe peut-elle prendre pour se rapprocher de cet objectif ? Deuxièmement : comment l’Union européenne peut-elle mieux protéger la biodiversité, notamment pour réduire le risque de pandémies telles que celle de Covid-19 ? Partout dans le monde, la disparition d’espèces et de zones naturelles précieuses est dramatique. Le Covid-19 joue aussi un rôle tout au long de la réunion : une participation n’est autorisée que sur présentation d’un test négatif. Les gestes barrières tels que distanciation physique et port d’un masque sont obligatoires. C’est entre autres parce que ses plafonds sont très hauts et ses salles très vastes que le choix des organisateurs s’est porté sur cet édifice. Avec ses nombreuses initiatives, innovations et start-ups vertes, Berlin est également le cadre idéal pour débattre de la politique environnementale.

© Original Unverpackt, Ecosia, Sirplus, Repair-Café Kunst-Stoffe
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La ville où fleurissent les start-ups

Berlin est une ville où foisonnent les initiatives créatives, les jeunes sociétés et les entreprises sociales. Beaucoup d’entre elles ont le même objectif : rendre la ville et le monde plus écologiques. En 2009, Christian Kroll a par exemple inventé le moteur de recherche Ecosia, une solution durable susceptible de remplacer google. Ecosia investit les revenus générés par les requêtes de recherche dans des projets de reforestation en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud. Les utilisateurs d’Ecosia ont ainsi financé jusqu’ici une centaine de millions d’arbres. « Original unverpackt », quant à elle, est une entreprise spécialisée dans l’alimentation au détail. Ce magasin implanté dans le quartier de Kreuzberg vend ses produits sans emballage : des distributeurs livrent pâtes, noix, riz et autres denrées directement dans les boîtes et sachets des clients. Il est l’un des trois magasins berlinois qui vendent des produits alimentaires sans emballage. Leur objectif : zéro déchet. Depuis 2017, les magasins Sirplus vendent à Berlin des denrées qui ont presque atteint leur date de péremption. Les fondateurs de Sirplus luttent ainsi dans leurs six supermarchés contre le gaspillage de produits alimentaires et appellent leurs succursales des « magasins de sauvetage ». Rien qu’en Allemagne, 18 millions de tonnes de produits alimentaires finissent chaque année à la poubelle. Depuis 2017, Sirplus en a « sauvé » 2 500 tonnes. Et qui veut sauver non seulement de la nourriture, mais aussi de vieilles montres, de vieux aspirateurs ou de vieux vélos peut s’adresser à l’un des 20 cafés de réparation de la ville.

Agriculture urbaine : des poissons producteurs d’engrais

Dans le quartier de Schöneberg, sur le site de l’ancienne malterie, se trouve l’une des plus grandes fermes piscicoles et maraîchères situées dans un centre-ville européen : l’ECF, Eco Friendly Farm Berlin. Christian Echternacht, l’un de ses fondateurs, nous parle d’ECF en se tenant, décontracté, entre du basilic et des bassins de poissons. C’est l’histoire de trois jeunes gens qui, amateurs de bonne cuisine et de nature, avaient une idée et possédaient un solide esprit d’entreprise. Ils se sont demandé : pourquoi ne pas utiliser un système de recyclage pour combiner la pisciculture et la culture de légumes en économisant les ressources naturelles ? Ils ont commencé par une petite serre et des cuves à poissons et sont devenus en cinq ans une entreprises d’aquaponie moderne, avec des succursales à Bruxelles et en Suisse.

À gauche de la serre se trouvent les aquariums contenant des centaines de perches et remplis d’eau de pluie provenant du toit. Les excréments des poissons enrichissent l’eau de nutriments essentiels dont le basilic du hall voisin a besoin pour se développer. Cette eau est épurée pour en retirer les sédiments solides et est biologiquement filtrée. À l’aide de pompes et de réservoirs souterrains, l’eau est amenée à la serre pour arroser et fertiliser les plantes.

L’ECF utilise désormais plusieurs systèmes de circulation, ce qui permet d’économiser du CO2. La ferme fournit 12 000 perches par an, couvrant ainsi une grande partie de la demande de basilic de la ville de Berlin. Et ces dernières années, l’ECF est devenue encore plus écologique : « Depuis 2018, nous nous passons de palettes de transport en plastique et nous n’emballons le basilic que dans du papier. Cela nous permet d’économiser 11 tonnes de plastique par an », ajoute Christian Echternacht.

Intelligence artificielle et mobilité verte : les universités de Berlin

Selon le rapport de mobilité de la ville de 2017, Berlin compte plus de trois millions et demi d’habitants et chacun d’entre eux et d’entre elles s’y déplace en moyenne 80 minutes par jour. Pour se rendre au travail, faire ses courses, aller au restaurant ou au théâtre, rendre visite à des amis ou à de la famille. Les Berlinois et Berlinoises parcourent ainsi près de 20 kilomètres par jour. Comment rendre cette mobilité plus durable ? Comment réduire la quantité d’embouteillages, de gaz d’échappement, de nuisances sonores ? Philipp Staab, sociologue à la « Humboldt Universität », y répond en ces termes : « Nous devons faire en sorte que les solutions destinées à remplacer la voiture deviennent plus attractives, et ce à l’aide de l’intelligence artificielle ». Il existe d’ores et déjà des plateformes numériques proposées par des entreprises privées, qui indiquent comment utiliser et combiner des moyens de locomotion tels que vélos, trottinettes électriques, bus, métro, co-voiturage. On appelle ça « Mobility as a Service ». « Mais les principaux critères de ces plateformes sont le prix et la rapidité », relève Philipp Staab. L’écologie ne joue souvent qu’un rôle secondaire. « C’est pourquoi les possibilités de mobilité écologique ne doivent pas rester l’affaire des entreprises privées », ajoute M. Staab.

En collaboration avec ses collègues de l’Université technique de Berlin et des programmeurs de SAP, Philipp Staab a élaboré « Aisum », un système d’algorithmes qui permet de rendre plus écologique l’appli de mobilité « Jebli » des services de transport berlinois (AISUM signifie Artificial Intelligence for Sustainable Urban Mobility). Cette intelligence artificielle calcule l’écobilan de différents moyens de transport en temps réel, établit des itinéraires personnalisés et analyse les besoins dans chaque quartier. « Si les données des utilisateurs montrent qu’une plus grande quantité de trottinettes électriques est nécessaire dans les quartiers extérieurs, les fournisseurs répondront très certainement à cette demande ». Aisum étant disponible, il s’agit maintenant de le mettre en application. Ce projet fait partie du programme intitulé « projets phares d’IA pour l’environnement, le climat, la nature et les ressources » du ministère fédéral de l’Environnement. La numérisation durable est l’un des thèmes centraux du ministère dans le cadre de la présidence allemande du Conseil de l’UE : pour la première fois, l’Allemagne a mis à l’ordre du jour de la conférence des ministres de l’environnement une discussion sur la numérisation et l’environnement. Le ministère fédéral de l’Environnement veut élaborer une position commune avec les ministres de l’environnement de l’UE.

© Naturkundemuseum
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Le musée d’histoire naturelle : Humboldt, techno, recherche citoyenne

La visite guidée nocturne de la collection du naturaliste Alexander von Humboldt est l’une des sensations du musée d’histoire naturelle de Berlin. En temps normal, cette collection n’est pas accessible au public. Lorsque Johannes Vogel, ancien conservateur en chef du musée d’histoire naturelle de Londres, a pris en 2012 la direction de celui de Berlin, il décida de faire de ce musée riche de 30 millions d’objets un lieu de débat sur la destruction de la nature. Un projet innovant, critique et chargé d’émotion. « De nos jours, aucun sujet ne relève autant de la politique que la nature », explique Johannes Vogel. Il confronte les visiteurs avec des expositions provoquantes et organise des discussions controversées ainsi que des excursions d’expertes et d’experts avec les scientifiques du musée. Dans les salles du musée se déroulent parfois de petits spectacles d’opéra, des DJ berlinois mixent sons urbains et chants d’oiseaux, une soprano chante des poèmes critiques sur la nature en ville. Le directeur invite chacun et chacune à se livrer à l’exploration : l’appli « Naturblick », subventionnée par le ministère fédéral de l’Environnement, leur permet de documenter eux-mêmes la diversité biologique de leur ville. Il s’est ainsi avéré que Berlin était la capitale européenne des rossignols, aucune ville d’Europe n’en abrite autant. Les spécialistes du musée supposent que le rossignol y affectionne particulièrement les nombreux petits coins tranquilles et sauvages dont regorgent les parcs, les sites de chantiers et les terrains vagues de la ville et dont le rossignol a besoin pour faire son nid.

Des biotopes de diversité dans une usine de traitement des eaux

À la place d’une pelouse bien tondue s’étend un pré jonché de plantes sauvages locales : campanule, vipérine, alysson blanc, falcaire commune, vesce craque… Voici ce qu’en dit Andreas Mewes, technicien de l’usine de traitement des eaux de surface de Berlin Tegel : « Au début, il a d’abord fallu s’habituer au nouvel aménagement du terrain de l’usine. Mais au printemps, nos bassins de traitement des eaux se sont soudain retrouvés au milieu d’une mer de fleurs et on y voyait plus de papillons que dans mon jardin de campagne. » Au moyen de procédés d’épuration ultra-modernes, Andreas Mewes et ses collègues assurent la propreté du lac de Tegel, qui est ainsi le lac le plus propre de la ville. En compagnie de Petra Kalettka, déléguée à la protection de la nature de la compagnie des eaux de Berlin, il nous guide à travers l’entreprise et ses grands bassins. Ce sont 7 000 m² de terrain qui ont été réaménagés ici avec le soutien de plusieurs fondations : fondation Heinz Sielmann, fondation du lac de Constance et Global Nature Fund. Ce projet s’intitule « Aménagement naturel de locaux d’entreprise » et est subventionné dans le cadre du programme fédéral de diversité biologique du ministère fédéral de l’Environnement.

« À Berlin, nous disposons d’environ 270 terrains et voulons y promouvoir la diversité biologique », déclare Petra Kalettka en dessinant un cercle du bras de gauche à droite, du champ de sauge et de l’étendue de crocus et d’armérie jusqu’à l’île d’origan qui pousse sur le parking à l’arrière du bâtiment administratif. 25 000 bulbes ont été plantés, une dune a été ajoutée, des poteaux en bois percés de trous dans lesquels les abeilles sauvages peuvent pondre ont été installés. Derrière la dune se trouvent des dalles alvéolées empilées en croix et en travers, c'est là que les lézards trouvent refuge. Les oiseaux peuvent nicher dans les espaces entre les vieilles dalles de béton et dans le bois mort qui se trouve à côté. Faut-il un jardinier ? « Oh oui ! Il doit tondre une fois par an, mais jamais tout en même temps pour que les insectes aient toujours de quoi manger. » Mme Kalettka montre une plante dont les grandes fleurs jaunes se balancent au vent. « Et les robiniers doivent disparaître, ils viennent d’Amérique du Nord et supplantent les espèces endémiques. » Un papillon bleu ciel se pose sur une tige d’alysson blanc, un azuré tel qu’il n’y en avait pas encore ici.

Des terrains vagues transformés en aires de jeux

Alan se balance sur le mirabellier, Jérôme se faufile dans les sous-bois jusqu’à une haie de mûres. Le chemin bordé de pruniers et de noyers est jonché de bâtons et de pierres et traverse la petite clairière où ils ont passé la nuit l'été dernier dans des tanières de branches et de feuilles construites par leurs soins. À côté de la haie de mûres sauvages, Aylin et Joanna disparaissent dans un tunnel à hauteur de genou qui mène à travers les fourrés. « Nous l’avons construit nous-mêmes », dit Aylin.

Le « Wilde Welt » de Berlin Spandau est l’un des cinq espaces d’expérience de la nature (NER) qui ont été créés à Berlin pour apprendre aux enfants des grandes villes à ressentir la nature. Dans le cadre d’un projet de la fondation de protection de la nature de Berlin (Stiftung Naturschutz Berlin), trois NER ont été subventionnés par l’Office fédéral de protection de la nature avec des fonds du ministère fédéral de l’Environnement, de l’administration du Sénat de Berlin pour l’environnement, les transports et le protection du climat, de l’arrondissement de Pankow et du délégué à la protection de la nature et de l’entretien des paysages.

Dans l’arrondissement de Spandau, c’est l’ancien terrain vague situé derrière la vieille ville qui est devenu un NER en 2016. Depuis, cet hectare de terrain, où se trouvaient autrefois une pépinière et un enclos pour poneys, est fait pour grimper et découvrir en toute liberté, creuser dans la boue et courir sur de petites collines. L’éducateur Robert Welzel (photo en bas à gauche) est le « gardien » de cet espace, comme le dit le projet. Le matin, Robert Welzel contrôle l’état des arbres et des aménagements : les cabanes sont-elles sûres, aucune grosse branche n’est-elle cassée ? « Au début, il y a eu beaucoup d’avis défavorables de la part des adultes. Que sont censés faire les enfants là-bas ? Il n’y a rien, disaient certains. Trop dangereux, craignaient les autres. Aujourd’hui, nous ne savons plus où donner de la tête tant la demande est importante ». L’idée remonte aux années 1990. À Berlin, elle est actuellement élargie et étudiée de manière scientifique. Une nouvelle étude de l’université des sciences appliquées de la ville d’Eberswalde prouve que l’approche adoptée par les NER est la bonne : dans les NER, les enfants jouent de manière plus créative, se concentrent davantage, se déplacent de manière plus sûre, vivent une relation sereine avec la nature et sont plus équilibrés dans leur vie quotidienne. Robert Welzel hoche de la tête : « Au début, certains enfants avaient peur des loups et des dragons. Aujourd’hui, ils observent avec curiosité les sangliers et les renards. »