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M. Eliasson : on vous a commandé une œuvre d’art pour la présidence allemande du Conseil de l’Union européenne. Quelles ont été vos principales considérations pour la préparation de ce projet ?

Olafur Eliasson : ce projet Earth Speakr était pour moi l’occasion de réunir des idées que j’explorais depuis des années. Beaucoup de mes travaux traitent de la nature éphémère de la perception. Je m’intéresse à la nature, mais aussi à l’aspect psychologique qui influence notre perception. « Comment se porte en fait la nature ? ». Voilà une question qui m’interpelle de plus en plus. Quand on voit le chemin qu’ont pris les humains, on s’aperçoit aujourd’hui que ceux avec lesquels nous partageons la planète doivent eux aussi avoir des droits.

« À qui appartient l’avenir ? » Aux responsables politiques actuels ou aux enfants d’aujourd’hui qui seront les responsables politiques du futur ? Comment pouvons-nous faire se rejoindre ces différentes perceptions ?

Lorsque l’on m’a demandé de créer cette œuvre d’art pour la présidence allemande de l’UE, je me suis dit que c’était une possibilité de partager une expérience par-delà les frontières, un moment qui s’offrait de se confronter à certaines des plus grandes questions de notre temps. Les mouvements de jeunes en faveur du climat ont montré que les enfants veulent voir, veulent sentir une réponse active à la protection de l’avenir, de leur avenir. J’ai également été inspiré par le sentiment général d’une urgence à laquelle ne répondent pas les leaders mondiaux en ne protégeant pas suffisamment le climat. « À qui appartient l’avenir ? » Aux responsables politiques actuels ou aux enfants d’aujourd’hui qui seront les responsables politiques du futur ? Comment pouvons-nous faire se rejoindre ces différentes perceptions ?

Les enfants sont au cœur de cette œuvre d’art : pourquoi se concentrer sur eux ?

En tant qu’adultes, nous sommes souvent prisonniers des défis liés à la gestion du changement. Nous décelons les difficultés qui nous attendent, les compromis qu’il va sans doute nous falloir accepter. Cela devient un filtre à travers lequel nous avons tendance à voir le monde. Les enfants et les jeunes ont, eux, une toute autre perspective. La crise du climat nous affectera tous, les enfants le savent. Je ne veux pas dire qu’une perspective est bonne et l’autre mauvaise, je cherche simplement à souligner que la manière dont les enfants perçoivent le monde est unique et précieuse. Nous pouvons tant apprendre en étant à leur écoute.

Avec Earth Speakr, il était essentiel pour moi de faire quelque chose avec les enfants, et non pour eux. Toute la conception du projet visait à rencontrer les enfants dans leur monde, à les laisser s’exprimer à leur niveau, librement et de manière créative, sans leur demander de traduire les idées en un langage d’adulte.

Je cherche simplement à souligner que la manière dont les enfants perçoivent le monde est unique et précieuse. Nous pouvons tant apprendre en étant à leur écoute.

Vous vouliez, avec votre projet Earth Speakr, avoir un impact sur la société. Cela semble être conforme à d’autres projets que vous avez créés. Sur votre site, on peut lire que vous vous efforcez de mettre en rapport les préoccupations artistiques et la société dans son ensemble. Quelle est la contribution de l’art dans l’espace public ?

L’idée de décentralisation qui est à la base de mon projet Earth Speakr est en rapport avec la valeur réelle de notre engagement pour l’art. À mes yeux, l’art et l’espace public sont une expérience « coproduite ». Earth Speakr peut être considéré comme un espace public, comme une négociation d’idées et d’expériences réunies dans un même environnement. Qu’est-ce que l’espace public ? Qui le définit ?

Ces questions sont très présentes de nos jours en Europe. Elles sont liées à la migration et aux tendances polarisatrices dans nos sociétés. La culture et l’art peuvent répondre à notre besoin d’expérience partagée. Elles offrent des modèles d’engagement et de communication susceptibles de nous inspirer. Un espace n’est réellement public que si la confiance dans l’action citoyenne est là. Avons-nous l’impression que nos actions peuvent contribuer à produire les systèmes sociaux dont nous faisons partie ? Est-ce que je me retrouve en tant que personne dans l’espace public ? Notre monde adulte se sent souvent déconnecté des problèmes des autres et des enjeux mondiaux. L’art peut faire la différence en nous faisant ressentir le monde. Et ce sentiment peut stimuler la pensée, l’engagement, voire l’action. S’il y a bien une mission pour l’art dans l’espace public – je généralise un peu –, elle consiste à contribuer et à entretenir l’ambiance dans cet espace, cette ambiance signifiant un sens de l’hospitalité, illustrant combien on s’y sent à l’aise.

Que recherchez-vous exactement avec votre projet Earth Speakr ?

Un changement de perspective. Les enfants téléchargent et utilisent l’application Earth Speakr pour enregistrer leurs idées et leurs inquiétudes concernant la planète. Ils voient littéralement leurs réflexions reflétées dans leur environnement lorsque l’appli anime des objets qui ont l’expression de leur visage. La pensée devient action. Sur www.earthspeakr.art, les adultes peuvent également passer du mode passif au mode actif : tout le monde peut entendre ce que les enfants disent dans toute l’Europe, dans le monde entier, et le fait de partager ces messages renforce leur dynamique.

Comment peut-on faire entendre les idées des enfants ?

Sur le site de Earth Speakr, il est possible de montrer que les messages sont entendus en créant des « Loud Speakrs », c’est-à-dire des collections de messages d’enfants qu’on peut placer n’importe où sur une carte virtuelle – sur des places publiques, dans des parcs, sur des édifices politiques – pour inciter d’autres personnes à les écouter dans la vie réelle, via la réalité augmentée. J’encourage les politiques à se joindre à l’écoute de ce que les futurs électeurs ont à dire, et à réfléchir à la meilleure manière de réagir à leurs thèmes.

Il y a bien entendu différentes réponses à l’impact que peut avoir Earth Speakr en tant qu’œuvre d’art. Comment les multiples perspectives provenant des quatre coins de l’Europe et d’autres régions du monde peuvent-elles coexister ? Leur coexistence peut être une réussite. Et qu’en est-il de l’action engagée par les décideurs en faveur du climat en s’inspirant des idées soumises par les enfants ? L’œuvre d’art pourra peut-être aussi changer l’interaction entre enfants et adultes et permettre des dialogues nouveaux au sein des familles et entre les générations.

J’aimerais voir la sphère publique en Europe réinventée pour devenir un espace qui soit aussi un « coproduit » participatif comme l’est Earth Speakr. Un espace où la confiance, où les valeurs qui sont les nôtres se transforment en action.

Comment l’art peut-il contribuer à créer une sphère publique dynamique en Europe ? À quoi ressemblerait-elle ?

L’art et la culture sont au service de leur public, et non à ses dépens. C’est cela qui fait toute leur pertinence. Les personnes qui visitent des institutions culturelles par exemple sont, à mes yeux, des producteurs et non des consommateurs. J’aimerais voir la sphère publique en Europe réinventée pour devenir un espace qui soit aussi un « coproduit » participatif comme l’est Earth Speakr. Un espace où la confiance, où les valeurs qui sont les nôtres se transforment en action. Un espace enfin où il existe une forte cohésion entre ce à quoi nous croyons et ce que nous faisons.

Earth Speakr - une œuvre d’art européenne participative © Olafur Eliasson
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The cultural programme of Germany’s Presidency of the Council of the European Union