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- la parole donnée prévaut -

Je vous remercie de m’avoir invité à ouvrir la réunion annuelle de l’ECFR qui se tiendra aujourd’hui et demain.

Nous vivons une période hors normes. Le format numérique de cette réunion ne laisse aucun doute à ce sujet. Nous aurions beaucoup aimé vous accueillir ici à Berlin. Et ce d’autant plus que, pour l’ECFR, cela aurait quasiment signifié « rentrer à la maison ». Un retour aux sources en quelque sorte. En effet, l’ECFR a été créé à quelques mètres d’ici, dans la « Weltsaal » du Ministère fédéral des Affaires étrangères en 2007. À cette époque, l’actuel président fédéral Frank-Walter Steinmeier était mon prédécesseur et la présidence allemande du Conseil était terminée depuis quelques mois seulement.

Déjà, il était question de crise et de relance, après les « non » français et néerlandais au référendum et les tensions autour du Traité de Lisbonne. Et pourtant, les discussions qui ont été menées à l’époque, au sujet d’un ministre des Affaires étrangères européen ou de nouvelles approches en matière de politique de sécurité et de défense, semblent remonter à un passé quasiment idyllique, tout du moins si on le compare à la tâche colossale à laquelle est confrontée l’Europe en ce début de présidence du Conseil.

À ce jour, la pandémie de Covid-19 a coûté la vie à plus de 100 000 Européennes et Européens. Pendant plusieurs années, nous allons devoir faire face aux conséquences de la paralysie économique. Et il est fort probable que, sur le plan social, l’épreuve de vérité soit encore à venir. Quiconque assume la présidence du Conseil de l’UE en des temps tels que ceux que nous vivons doit être conscient des attentes élevées à son égard. C’est encore plus vrai pour l’Allemagne – un pays au cœur de l’Europe, qui est aussi son État membre le plus peuplé, avec l’économie la plus importante – dont bien des réussites politiques et économiques sont dues à cette Europe.

Mesdames et Messieurs,

Nous voulons certes nous montrer à la hauteur de ces attentes, mais pas seulement. Nous avons l’intention d’exploiter cette crise sans précédent pour mettre en place des changements inédits dans l’Union européenne. Or, ces changements s’articulent autour de deux notions qui récapitulent l’ensemble du programme de la présidence allemande : la solidarité et la souveraineté. Ce sont les deux faces d’une même médaille. Car l’Europe ne sera en mesure de défendre ses valeurs et ses intérêts vis-à-vis de l’extérieur que si ses membres se montrent solidaires les uns des autres et resserrent encore leurs liens. C’était déjà vrai avant la pandémie. Mais ça l’est encore plus dans le monde post-Covid, dans lequel le désaccord américano-chinois ne cesse de croître et l’instabilité d’augmenter tout autour du globe.

Mais parlons d’abord de la solidarité. Je ne pense pas que de longues phrases sont nécessaires pour décrire le progrès révolutionnaire que constituent les propositions franco-allemandes de ces derniers jours. Révolutionnaire non seulement pour ce qui est de l’ampleur financière du plan de relance et de la détermination à recourir au budget de l’UE pour mobiliser des fonds communs en faveur des investissements dans l’avenir. À juste titre, Olaf Scholz a parlé de « moment hamiltonien ».

Révolutionnaire, également, parce que nous espérons que cela nous permettra de surmonter les erreurs du passé. Crise de l’euro ou crise financière, différends autour des réfugiés et des migrations : tout cela n’a fait que creuser un peu plus les fossés entre nos pays. Et, cette fois-ci encore, on risque de voir les inégalités économiques et fiscales s’intensifier si chacun ne pense qu’à ses propres intérêts.

Il est donc d’autant plus important que, dès le début, nous intégrions nos mesures nationales à un programme de relance européen. C’est pourquoi la priorité absolue de notre présidence consistera à trouver un accord à ce sujet ainsi que sur le prochain budget pour les sept années à venir. La prospérité de l’Europe dans les prochaines décennies en dépend. Et c’est pourquoi il n’est pas simplement question de « reconstruction ». J’irai encore plus loin : toute reconstruction est condamnée à l’échec si l’Europe ne devient pas dans le même temps plus verte, plus sociale, plus numérique et plus innovante. Le prochain budget devra en tenir compte. Et, si nous voulons parler de solidarité et de cohésion, il va de soi que nous devons aussi veiller à ce que ces fonds soient distribués dans le respect des principes de l’État de droit. Il y a un autre point que je trouve important : dans ce contexte de crise, nous ne mesurons pas la puissance de l’Europe en termes de bénéfices des entreprises ou de hausse des cours des actions. Cette fois-ci, la solidarité en Europe doit être perceptible pour l’ensemble des citoyennes et des citoyens. Avec le programme SURE, nous avons donc l’intention d’aider, pour la première fois, toutes les Européennes et tous les Européens touchés par le chômage partiel. Et, là encore, nous tenons à aller encore plus loin par un mécanisme de réassurance chômage et un encadrement commun du salaire minimum.

Mesdames et Messieurs,

Nous laisserions passer une chance historique si nous n’exploitions pas aussi cette nouvelle ère dans laquelle entre la politique européenne pour consolider durablement notre union. La prochaine crise ne pourra ni ne devra s’accompagner de nouvelles menaces d’effondrement. Le côté positif de la situation, c’est peut-être que le virus a impitoyablement mis en évidence les lacunes des actions européennes. Il est difficile d’expliquer que, confrontée à une pandémie qui dépasse les limites des frontières nationales, l’UE ne puisse, dans le meilleur des cas, que formuler des recommandations.

Notre infrastructure numérique a été totalement dépassée par l’accroissement des activités numériques pendant la crise. Et depuis des années, nous parlons du rôle de l’Europe au niveau de la prévention des crises et de la protection civile, sans avoir fait de réels progrès. Cela doit changer. Par une meilleure coordination mais aussi, lorsque c’est nécessaire, en modifiant nos traités.

Une vision étriquée ne nous mènera à rien. Cela vaut aussi pour nous, Allemands. Bien sûr, il n’est aucunement question de créer un super État européen. Ce que nous proposons, c’est de conserver à l’Europe sa capacité d’action dans un monde où les équilibres évoluent très vite et tournent au désavantage de l’Europe. Et dans lequel certaines choses, telles que la capacité d’innovation numérique, sont essentielles à la survie.

Cela m’amène à la « souveraineté européenne ». La semaine dernière encore, Bruxelles en a débattu. Je comprends les préoccupations de ceux qui critiquent la perte de souveraineté, voire la désolidarisation entre la sécurité européenne et la sécurité américaine. Toutefois, là n’est pas notre intention.

La souveraineté européenne telle que je la conçois, c’est que l’Europe puisse agir de façon autonome et décider d’unir nos forces là où les États-nations ont depuis longtemps perdu leur pouvoir de décision au profit des grandes puissances. Le fait que l’Europe importe aujourd’hui de Chine ou d’Inde près de 90 % des médicaments jugés essentiels par l’OMS montre bien à quel niveau il faut agir. Et je pourrais tout aussi bien citer la 5G, les technologies de stockage et de l’information, la logistique, l’énergie ou encore le secteur des matières premières. La première étape doit donc consister en une analyse sans complaisance de nos dépendances stratégiques, qu’il s’agisse de technologie, de politique de sécurité, de politique commerciale ou monétaire.

Prenons l’exemple des relations transatlantiques. Il nous incombera, pendant notre présidence du Conseil, de veiller à ce que l’Europe soit préparée à l’issue des élections américaines et qu’elle élabore en temps utile un programme constructif nous permettant d’approcher soit l’administration de Joe Biden, soit l’administration de Donald Trump dans le cadre d’un deuxième mandat. Indépendamment du résultat de l’élection de novembre, nous allons réfléchir à la façon de mieux endiguer les conflits autour de l’Europe, y compris sans l’intervention américaine. C’est l’une des raisons pour lesquelles, dans le cadre de notre présidence, nous voulons concrétiser la facilité européenne de soutien à la paix et créer ici à Berlin un centre européen de gestion civile des crises regroupant les compétences des États membres. Face à la Chine également, il est impératif que l’Europe s’exprime d’une seule voix ! C’est d’autant plus important en ce moment, dans le contexte de l’analyse de la pandémie et des interventions de plus en plus énergiques de la Chine à Hong Kong et dans les pays voisins. Cela explique aussi pourquoi nous tenons à reprogrammer au plus vite le sommet UE-Chine.

Récemment, avec le programme « Team Europe », Josep Borrell a décrit son objectif d’une véritable interconnexion des politiques nationales et européennes dans les domaines des affaires étrangères, de l’économie, de l’environnement, du développement et de la sécurité, ce qui lui vaut un soutien sans réserve de notre part. Car une autre mission va nous incomber : la crise aura un violent impact sur les régions les plus pauvres du monde qui auront besoin de l’aide de l’Europe, de beaucoup d’aide même. Et si nous, qui sommes des démocraties, ne la leur apportons pas, d’autres le feront, à un prix qui, sur le long terme, sera beaucoup plus élevé pour nous, mais aussi pour d’autres.

Mesdames et Messieurs,

Il a donc été fort heureux, même si ce n’était pas une coïncidence, que, ces dernières années, nous ayons travaillé aussi étroitement avec l’ECFR sur le concept de « souveraineté européenne ». Je vous en remercie.

Cela me permet de revenir devant l’ECFR qui, lors de sa création en 2007, s’est donné la mission de créer un « espace public européen pour les questions européennes ». C’est une entreprise à laquelle nous entendons donner un nouvel élan pendant notre présidence – au travers de conférences citoyennes et d’ateliers, mais aussi par des approches innovantes telles que le projet artistique d’Ólafur Elíasson.

L’objectif est la participation – par des échanges plus étroits entre la société civile et la politique. La pandémie de Covid-19 nous en a révélé l’importance, de façon quasiment existentielle. Et ce également lorsque la défense de nos réalisations européennes, de notre « Europe United », est en jeu. Quelles que soient les chances que l’Union européenne sorte renforcée de cette crise, nous ne devons pas oublier que les ennemis de l’Europe n’ont pas disparu. Pour l’instant, ils demeurent discrets pour la simple raison que leurs idéologies n’apportent aucune réponse aux questions les plus urgentes soulevées par cette crise. Cela montre bien que les populistes n’ont pas d’importance systémique. Pour autant, ils vont essayer de tirer également parti de cette crise ; ils l’ont déjà fait par le passé. Ils nous critiqueront pour notre solidarité, sans comprendre qu’ils sapent ainsi notre souveraineté. Cependant, ils n’ont aucune chance. Aucune chance si nous montrons que l’Europe ne se résume pas à un groupe d’États-nations divisés et égoïstes. Si nous sommes crédibles en défendant nos valeurs telles que l’État de droit et la démocratie. Et si nous insufflons la vie à deux notions : la solidarité et la souveraineté. Si nous y parvenons, cette crise aura permis à l’Europe de briller.

Je vous remercie !