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Son itinéraire lui a fait parcourir la moitié de l’Europe. De Rome à Glasgow, de la Slovaquie à Varsovie, à chaque étape, Gaia découvre de nouvelles perspectives, de nouvelles facultés, une nouvelle langue, un nouveau jeu ou un nouveau sport. Jusqu’au milieu de l’année prochaine, les robots humanoïdes Gaia et Nao poursuivront leur périple. Ce voyage fait partie du projet Generation A=Algorithmus du Goethe-Institut, qui est l’un des éléments du programme culturel de la présidence allemande du Conseil de l’Union européenne. À travers ce programme, le Goethe-Institut souhaite lancer un débat constructif sur l’utilisation de l’intelligence artificielle au sein de notre société.

En septembre, Gaia a rendu visite à Rebecca Klimasch, 21 ans, étudiante en médias numériques, et Nico Nienaber, 25 ans, étudiant en informatique à l’université de Brême. En octobre, elle a séjourné à Groningue, près de Rotterdam, chez l’artiste et informaticien néerlandais Floris Maathuis, 43 ans.

Mme Klimasch, M. Nienaber, vous avez vécu quatre semaines avec un robot. Comment était-ce ?

M. Nienaber : Gaia est arrivée de Milan dans une grande valise, enveloppée dans du papier bulle. L’ordinateur portable avec les programmes et le routeur ont été livrés séparément...

Mme Klimasch : ...J’étais terriblement excitée quand nous l’avons déballée. Incroyable ce que Gaia était petite...

M. Nienaber : ...Un peu comme un bébé, avec des bras et des jambes très souples...

Mme Klimasch : ...Puis nous avons essayé de l’allumer, mais au début cela n’a pas fonctionné. Nous avons eu peur d’avoir cassé quelque chose. Et à un moment donné, Gaia s’est tenue devant nous, dans sa position « de base », nous a regardés avec ses yeux de caméras et a dit : « Bonjour, je suis Gaia. » C’était assez touchant, en fait.

M. Nienaber : Pour toi, c’était Gaia, pour moi plutôt le robot. J’étudie l’informatique et j’ai un regard assez terre à terre sur le sujet.

Nico Nienaber et Rebecca Klimasch avec Gaia, le robot dans son emballage © privat
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Qu’est-ce qui vous a poussés à accueillir Gaia chez vous ?

M. Nienaber : J’étais tout simplement curieux de savoir comment Gaia fonctionne techniquement. Je n’avais encore jamais travaillé sur un robot, encore moins avec un robot qu’on a à la maison. Avec Gaia, nous pouvions expérimenter tous les jours...

Mme Klimasch : ...Et apprendre à mieux la connaître. Cette interaction avec un robot au quotidien m’a intéressée. Comment fonctionne la coexistence de l’humain et de la machine ? Que faut-il pour que cela réussisse ? Dans mes études, je me suis penchée sur les enjeux du développement du monde numérique. Par exemple, lorsqu’on utilise des bras artificiels comme assistance pour des personnes handicapées.

M. Nienaber : Dès l’arrivée de Gaia, nous avons testé ce qu’elle savait faire. L’équipe de Milan lui avait appris un peu à danser, elle parlait aussi un peu italien ; elle pouvait prendre quelqu’un par la main et faire quelques pas avec cette personne.

Et qu’avez-vous voulu apprendre à Gaia ?

M. Nienaber : À jouer au football. L’université de Brême est à la pointe en termes de programmation de robots footballeurs et a été huit fois championne du monde dans les compétitions internationales de football des robots. Ces robots sont naturellement entraînés pendant des années. Ça a été sacrément difficile de faire progresser Gaia. Nous avons quand même réussi à la faire taper dans un ballon.

Avec Gaia, nous voulions transmettre en Europe un peu de ce qui nous tient à cœur dans la culture de l’Allemagne du Nord.

Mme Klimasch : Et elle a aussi appris autre chose chez nous : un quiz sur Brême. Après avoir dit bonjour, elle demande maintenant à l’utilisateur : si tu veux jouer au football avec moi, touche mon bras gauche, si tu as envie de faire un quiz sur Brême...

... touche mon bras droit ?

Mme Klimasch : Exactement. Et ensuite elle vous bombarde de questions : qu’est-ce que le « Kohltour » en Allemagne du Nord, la tournée du chou, et le « Freimarkt » ? Que veut dire « Moin » et quand le dit-on ? Quels animaux font partie des Musiciens de la ville de Brême ? Nous voulons transmettre en Europe un peu de ce qui nous tient à cœur dans la culture de l’Allemagne du Nord.

Vos relations avec Gaia ont-elles évolué au cours des quatre semaines que vous avez passées ensemble ?

M. Nienaber : Plus on a fait de progrès en programmation avec elle, plus c’est devenu intéressant et interactif. On comprend de mieux en mieux comment réagit le robot. La numérisation devrait être davantage soutenue en Allemagne, en Europe, car nous devons tous apprendre à gérer les technologies de manière compétente.

Mme Klimasch : À la fin, Gaia était pour moi une sorte de jouet familier. Ses créateurs l’ont conçue pour qu’elle soit plus proche de nous au plan humain. Quand elle doit apprendre un nouveau mouvement, par exemple, et qu’elle tombe, elle crie « Aïe ! ». Le temps passé avec Gaia m’a rappelé comme il est important que les gens n’aient plus peur de la robotique, si nous voulons utiliser l’intelligence artificielle. J’ai tout de même eu du mal, après tout ce temps, à renvoyer Gaia en voyage vers Rotterdam...

Floris Maathuis en compagnie de Gaia à Groningen aux Pays-Bas : tâches ménagères, balade en poussette, premiers pas, entraînement à la boxe (dans le sens des aiguilles d’une montre) © Floris Maathuis/Pieter van Dijken/Chantalla Pleiter
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Plus précisément à Groningue, près de Rotterdam : M. Maathuis, Gaia a emménagé chez vous début octobre. Avez-vous trouvé ce robot humain, vous aussi ?

M. Maathuis : Beaucoup trop humain. Gaia est très mignonne, très inoffensive. Je voulais lui ôter cette douceur autant que possible. Comme artiste, je m’intéresse à la manière dont les technologies nous changent, en tant qu’individus et en tant que société. L’art peut rendre ces changements visibles. Dans mon travail avec Gaia, je voulais rechercher comment les personnes réagissent face à des machines qui sont désagréables, voire agressives.

Beaucoup trop humain. Gaia est très mignonne, très inoffensive. Je voulais lui ôter cette douceur autant que possible.

Comment avez-vous donc modifié Gaia ?

Les mouvements de Gaia suivaient automatiquement la voix humaine. Elle regarde les gens dans les yeux, et donne ainsi l’impression d’être attentive et intéressée. Je l’ai entraînée à ne plus le faire. Maintenant, dès que quelqu’un la regarde, elle se retourne.

Puis j’ai repris des éléments du film d’horreur « Jeu d’enfant », où la poupée tueuse Chucky se promène avec des yeux injectés de sang et un couteau dans la main. Maintenant, Gaia court vers les visiteurs avec les yeux qui clignotent en rouge et un couteau, puis dit au dernier moment : « Oh, c’était une erreur. »

Vous utilisez aussi ses outils de reconnaissance faciale pour estimer l’âge, le sexe et l’humeur d’une personne...

Oui, en lui faisant dire le résultat droit dans les yeux à la personne concernée, même si Gaia rate souvent complètement la cible. Quand elle dit « Je crois que tu as 40 ans » à une personne de moins de 30 ans, elle ne sera pas ravie... Et je lui ai aussi appris à boxer. Elle défie les gens de se battre.

Puis vous avez testé comment les personnes réagissent à un robot étrange ?

Exactement. Et beaucoup étaient déconcertés, presque troublés. Ils ne pouvaient évaluer ce qui se cachait derrière, et ce que le robot allait faire ensuite. Une machine ne donne pas de signe, il manque la mimique, la gestuelle, le ton de la voix... Certains ont essayé d’avoir ses faveurs en étant amicaux : « Je veux être ton ami, pas me battre avec toi. » D’autres étaient plus dans une optique de recherche : comment peut bien fonctionner cette machine ?

Mais tous sont montés sur le ring de boxe ?

Oui, c’est intéressant, tous ont relevé le défi.

Certes, mais Gaia nous arrive à peine au genou.

C’est vrai, c’était plus de l’ordre d’un affrontement métaphorique. Tous lui ont fait face. On sentait clairement à quel point les personnes recherchaient une relation positive avec la machine. En fin de compte, elles ont toutes vu en elle une sorte de personnalité qu’elles aimaient bien. Je crois que c’est parce qu’elle leur semblait toujours aussi petite et inoffensive. Les gens semblent être attirés par les robots. Et Gaia n’avait pas encore l’air assez dangereuse pour les rendre vraiment sceptiques.

Un robot combatif : Gaia monte sur le ring et apprend à boxer © Floris Maathuis/Pieter van Dijken/Chantalla Pleiter
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Vous vous placez dans le droit fil des réflexions d’Isaac Asimov, l’auteur de science-fiction, qui s’est penché dès les années 1960 sur les dangers de l’intelligence artificielle. Dans sa nouvelle « Cercle vicieux », il développe des lois de la robotique qui doivent protéger les humains des robots.

Je considère ces questions comme très importantes si nous voulons intégrer davantage d’intelligence artificielle dans tous les domaines de la société. Il faut regarder de plus près : comment voulons-nous aménager la coexistence de l’humain et de la machine ? Quelles missions peut et doit assumer l’intelligence artificielle ? Nous devrions prendre garde à ne pas confier toutes les tâches possibles aux robots de manière précipitée juste parce qu’ils semblent les effectuer rapidement et à peu de frais. Il est certain que l’intelligence artificielle peut écrire des textes, par exemple, mais peut-elle être aussi créative et réfléchie que les êtres humains ? L’homme et la machine sont bons dans des choses différentes. Je crois que l’avenir, c’est la coopération.

À Glasgow, ils lui apprennent une danse de la scène gay new-yorkaise. Comme symbole de toute l’importance de se battre pour la diversité et les droits de l’homme, pour les valeurs européennes.

Gaia est maintenant à Glasgow...

J’ai parlé à l’équipe de là-bas. Ils lui apprennent une danse de la scène gay new-yorkaise. Comme symbole de toute l’importance de se battre pour la diversité et les droits de l’homme, pour les valeurs européennes. C’est ce qui rend ce projet si passionnant : dans son voyage à travers l'Europe, Gaia recueille énormément de perspectives différentes qui ne rendent compte de la diversité du débat sur l’intelligence artificielle que lorsqu’elles sont réunies.


Une date à retenir : l‘intelligence artificielle et l’Europe seront l’un des thèmes de la « Intimate Couch Lesson : AI + Europe » qui aura lieu le 18 décembre. Les participants et participantes pourront y discuter sur les thèmes IA et démocratie, vie privée ou réglementations européennes avec une trentaine d’experts et d’expertes. Pour y participer, veuillez vous inscrire ici.​​​​​​​

Pour plus d’informations sur le programme culturel de la présidence allemande du Conseil de l’UE, veuillez cliquer ici ou regarder la vidéo suivante :

Le programme culturel de la présidence allemande du Conseil de l'UE