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Madame Sohns, depuis début septembre, les Goethe-Instituts situés en Europe invitent des personnes de différentes générations à participer à des discussions consacrées à l’Europe. Pourquoi avons-nous besoin d’un échange intergénérationnel ?

À l’heure actuelle, on observe des divisions ou de petites fissures dans de nombreux endroits en Europe. Cela semble indiquer que les Européens s’éloignent de nouveau les uns des autres. Nombreux sont ceux qui éprouvent un besoin d’autant plus important de rechercher ce qui les unit. Qu’est-ce que l’Europe ? Quel est le ciment de l’Europe ? Comment des personnes d’âges différents perçoivent-elles l’Europe et comment réunir leurs visions ? Ici, au Royaume-Uni, de nombreux jeunes Britanniques ont le sentiment depuis le référendum sur le Brexit qu’ils devraient s’engager d’une manière ou d’une autre pour l’Europe. Mais ailleurs aussi, les jeunes se mobilisent pour l’Europe. Il y a deux ans, nous avons découvert un réseau de jeunes dans toute l’Europe : l’association « Arbeit an Europa ». Nous avons été enthousiasmés par son idée : de jeunes Européennes et Européens interviewent des personnes nées entre 1920 et 1945 et les interrogent sur leur vie et leurs expériences.

Cinquante personnes, dont de nombreuses personnalités, ont d’ores et déjà été interviewées.

Y figurent notamment des célébrités comme le scénariste Jean-Claude Carrière (né en 1931) qui évoque l’attitude hostile envers les Allemands après la guerre. Le philosophe slovaque Egon Gál (né en 1940) a également été interviewé. Il retrace le long chemin que dut accomplir la Slovaquie pour devenir membre de l’Union européenne, oscillant entre euphorie et appréhension. Et même l’ancienne présidente de l’Islande, Vigdís Finnbogadóttir (née en 1930), qui est aussi la première femme au monde élue à la tête d’un État, a répondu présent.

Quinze interviews de témoins du passé peuvent maintenant être consultées en ligne dans l’« Europäisches Archiv der Stimmen » (Archives européennes des voix)...

…et en les écoutant, on découvre l’extraordinaire diversité de l’Europe mais aussi à quel point son histoire est difficile et changeante, marquée par les guerres, les conflits et les déplacements de frontières. Les traces qu’ils ont laissées chez les hommes se font encore sentir de nos jours dans les entretiens réalisés. Ces archives sont en quelque sorte la mémoire collective de l’Europe. C’est pourquoi nous tenions absolument à développer un projet allant dans ce sens dans le cadre de la présidence allemande du Conseil de l’Union européenne : ce projet se nomme « Parlez-moi d’Europe ». Sur 13 sites, des jeunes discutent de l’Europe avec des hommes et des femmes artistes, écrivains ou journalistes. Le matériel d’archive constitue le point de départ de ces discussions et parfois, les témoins sont même présents sur place en personne. Mais leur présence n’a pas toujours été possible en raison de la pandémie de Covid-19.

Les discussions portent sur sept grands thèmes. Comment les avez-vous choisis ?

Un examen du matériel d’archive a permis à notre équipe de curateurs, formée d’Edouard Barthen et de Leona Lynen, de dégager les thèmes clés qui ont été abordés par toutes les personnes interviewées : la quête identitaire, la vie entre plusieurs cultures, l’Europe des nations, l’Europe entre l’Est et l’Ouest, et l’Europe des générations. La migration, la lutte pour créer un espace public européen et le sens concret de l’Europe au quotidien constituent d’autres thèmes importants.

Les événements se déroulent dans 13 pays, y compris en dehors de l’UE, comme par exemple à Tbilissi en Géorgie ou à Moscou.

En effet, nous n’avons pas seulement interprété l’Europe comme une entité politique mais avant tout comme une communauté culturelle. Le regard porté sur ces questions devait être le plus diversifié possible. Nous avons posé les questions suivantes à tous les Goethe-Instituts implantés en Europe : Qui a envie de participer ? Qui considère cette thématique comme pertinente sur son site ? Un éventail passionnant de sites ont manifesté leur intérêt : Non seulement des villes comme Zagreb, Sarajevo et Tirana, mais aussi des métropoles comme Londres ou Rome. Et chaque ville a choisi une approche bien spécifique.

Discussions nocturnes sous les arbres : « Parlez-moi d’Europe » à Tirana, en Albanie © Goethe-Institut
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Pouvez-vous nous donner un exemple ?

À Tirana, « Parlez-moi d’Europe » était consacré au grand témoin de notre époque Maks Velo qui, tristement, nous a quittés peu après son entretien pour les Archives européennes des voix. Maks Velo est un grand peintre albanais. Dans ce pays, il était extrêmement important de rendre hommage à sa vie et de se pencher sur sa conception de l’Europe. À Sarajevo, nous avons organisé un World Café où des jeunes et des femmes représentant différentes générations ont discuté de manière animée de l’idée de patrie, de religion, de féminisme et de l’Union européenne. Les participants se sont déplacés de table en table et ont noté leurs idées sur une nappe en papier, idées que les autres reprennent ensuite. À Prague, Alena Wagnerová, témoin du passé, a échangé avec des jeunes sur sa vie et ses expériences en Europe.

En faisant le point sur les événements qui ont déjà eu lieu, quel est, selon vous, le dénominateur commun entre les Européens ?

C’est certainement la curiosité des uns envers les autres et l’envie de toujours découvrir de nouveaux liens avec autrui et d’en parler. La recherche de points communs entre les différentes régions et générations a joué un rôle central dans toutes les discussions, même lorsqu’il n’a pas été possible d’y répondre simplement. À Oslo, l’événement a pris la forme d’un concert-débat dans un club de jazz. Le témoin interviewé était Karen Krog, la célèbre chanteuse de jazz norvégienne. Elle a évoqué sa vie pendant la guerre et les années d’après-guerre. La discussion a porté sur le sentiment ambivalent de la Norvège envers l’UE dont elle n’est pas membre, et dont elle se distancie tout en lui étant associée. Mais ce soir-là, c’est la musique qui a mis en évidence le caractère transnational de cette Europe et les nombreux liens qui la caractérisent.

Carte postale conçue dans le cadre du projet « Parlez-moi d’Europe » à Oslo © Goethe-Institut
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Avez-vous observé de grandes différences entre les générations ?

J’ai été frappée par leur profond respect les unes pour les autres et par leur fascination pour les témoignages des autres. Il existe bien sûr des différences. À Helsinki, par exemple, l’idée que les aînés se font de l’Europe porte la marque profonde de la guerre et des privations, et pour de nombreux représentants de cette génération, l’adhésion de la Finlande à l’Union européenne (en 1995) reste un fait singulier. Pour les jeunes, en revanche, la guerre ne joue plus aucun rôle et l’adhésion de leur pays à l’EU est tout à fait naturelle. Tout comme la liberté de circulation en Europe. Au lieu de cela, ils se mobilisent pour la lutte pour l’égalité des droits et contre le racisme et ils aspirent à des sociétés qui soient ouvertes et à même de faire face à la migration. Les différentes générations ont été remarquablement unanimes à l’avenir : elles souhaitent toutes que la future Europe soit égalitaire et ouverte.

Le projet « Parlez-moi d’Europe » bénéficie d’un accompagnement artistique sous la forme de collages sonores. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Le matériel des Archives européennes des voix comporte des archives audio et textuelles. Les auteurs ont renoncé aux vidéos car ils souhaitaient laisser les voix produire tous leurs effets. Cela nous a fascinés. Car le fait de concentrer son attention uniquement sur l’écoute procure un expérience très intense. C’est la raison pour laquelle nous voulions faire retravailler cette forme par des artistes. L’artiste du son Marc Matter a créé une installation sonore en reprenant des passages des interviews, en fonction du lieu de l’événement. À partir de lambeaux de texte, Marc Matter a composé un fond sonore polyphonique, varié, multilingue et qui n’est pas sans rappeler les créations dadaïstes. Son installation sonore est associée à différents événements sur les sites. Elle expose de manière merveilleuse la multiplicité des voix de l’Europe.

Installation sonore de Marc Matter

Le compositeur Michael Langemann entremêle les voix de l’Europe dans une composition vocale.

Celle-ci porte le nom de « Stimmen: Europa » (Voix : Europe). Pour ce faire, il s’est concentré sur les passages des interviews où il était question de l’avenir de l’Europe. Sa composition s’apparente à un oratorio. Celui-ci doit être chanté sur les sites par des chœurs amateurs. Mais avec la Covid-19, il est maintenant difficile de travailler avec des chœurs. Michael Langemann a donc « démonté » sa composition en éléments modulaires. De cette manière, les différentes voix peuvent chanter séparément ou ensemble, à l’extérieur comme à l’intérieur. Une équipe de tournage enregistre les performances et en fait une synthèse numérique que l’on pourra voir et écouter l’année prochaine. La pandémie libère beaucoup de créativité. Il est passionnant de voir ce qui est créé lorsque des artistes doivent rechercher de nouvelles idées.

Les prochains événements de « Parlez-moi d’Europe » ne pourront se dérouler que sous forme numérique.

On ne risque pas de s’ennuyer : à Moscou, l’événement sera transmis par la station de radio Echo Moskvy et à Strasbourg, il se déroulera par conférence Zoom avec des enregistrements du collage sonore de Marc Matter. Au début du mois de décembre, nous rentrerons à Londres avec « Parlez-moi d’Europe ». Cela sera un moment fort – juste avant la sortie définitive du Royaume-Uni de l’Union européenne.

Les prochains événements :

  • 17 novembre, Stockholm
  • 18 novembre, Rome
  • 19 novembre, Moscou
  • 24 novembre, Strasbourg
  • 2 décembre, Londres

Pour toute information complémentaire sur le programme culturel de la présidence allemande du Conseil de l’UE, veuillez cliquer ici ou regarder le film suivant.

Le programme culturel de la présidence allemande du Conseil de l'UE